JBL » le p’tit curieux d’Arlac « – Can’arlacais n°6 – 1995
Dans la rue de Lyon, à Arlac, se cache un château. Pas Versailles, bien sûr, puisqu’il n’abrite que des logements et une boucherie. Son nom ? » Haut-Méjean « … Mais allez donc plutôt voir.
Arlac, bien petit quartier ignoré, est truffé de châteaux : Tenet, Haut-Blanzac, la Maison Carrée, sans parler des » feu châteaux « : Luchey, une ruine. Beauséjour, ancienne résidence d’été des archevêques de Bordeaux. Mais pour les Arlacais Haut-Méjean. » c’est rien du tout » et pour les architectes sûrement pas un !
Pourtant, regardons la façade en » oubliant » le magasin : une masse de bâti bien proportionnée empreinte de noblesse par la majesté de la balustrade en pierre marquant l’entrée principa!e. La coiffe de la toiture est soulignée par la double rangée de génoise girondine plus commune (1). Il faut remarquer les deux vases au dessus des pilastres, le balcon est sur l’agrafe, au dessus de la porte les deux initiales entrelacées H M, Haut Méjean.
Avec sa tour de guet située derrière, démolie en 1934, le bâtiment était sans doute un château vinicole.
Cherchons un peu l’histoire de Méjean auquel on a ajouté l’adjectif » haut » comme pour valoriser le nom. Apres la première guerre mondiale, le domaine de Borie-Haut-Méjean était en culture, en particulier en vignes et en prés qui nourrissaient les vaches dont le lait était livré à Bordeaux.
Sur son territoire, deux châteaux Borie et Haut-Méjean. Le château Borie, était situé au Tondu, chemin de Borie dénommé depuis 1939, rue Alfred Smith, donc très près d’Arlac: il était habité par les propriétaires, tandis qu’à Méjean logeaient le régisseur et le chef de culture. Ne cherchez pas le château Borie, il a été détruit en 1961 (2) et a fait place à la résidence « Parc Borie »
Un doyen d’Arlac (3). malheureusement disparu, m’a conté la traversée de Méjean vers 1925 quand jeune soldat de Bordeaux il passait à pied pour rejoindre le champ de manoeuvre de Luchey : de la vigne entre le chemin de Méjean (rue Gérard Blot) et le chemin d’Arlac (avenue Aristide Briand) et un champ de » patates » à l’emplacement du boulanger: des sablières ça et là un peu plus tard pour approvisionner la Verrerie de Carmaux.
Ce n’est qu’en 1925 que M.Barbeillon achète ce domaine de 16 hectares pour le lotir tel que nous le connaissons. Mais ce domaine qu’était-il avant ? sans remonter à plus de 200 ans on retrouve comme propriétaire en 1774 Charles Peixotto (4). Celui-ci avait acheté en 1768 la propriété où il fera construire par Dufart en 1788-1789 la » Maison carrée d’Arlac » ( » Peychotte « ).
Peychotte et Méjean formaient donc un seul domaine traversé par le ruisseau des Ontines. Mais Peixotto fit de trop bonnes affaires pendant la Révolution en achetant des biens nationaux pour la somme colossale de 800000 livres, en particulier Beauséjour tout proche de ses domaines d’Arlac. Là, malgré cette preuve de civisme il fut mis en prison, jugé et condamné à payer une amende non moins colossale de 1 200 000 livres dont il n’en régla que 200 000. Mais la Révolution avait bouleversé l’économie française.
Peixotto était ruiné, même dans la misère et il mourut en 1805 (5). Ses fils les jumeaux Jacob et Daniel nés en 1763 durent vendre d’autant plus que Daniel était dément. L’adjudication du 28 juin 1910 fit d’Arnaud Géraud le nouveau propriétaire de Méjean. Dans la description du bien acheté, il n’y a qu’une petite maison composée d’une seule chambre qui a besoin de réparations, d’une pièce de vigne, de deux pièces de terres labourables et d’une pièce de bois taillé (6).
C’est Arnaud Géraud qui semble avoir transformé ou complètement reconstruit le bâtiment avant de le vendre en 1818, et dès 1839 les actes notariés décrivent Méjean avec une maison de maître. logement du paysan, chai, celliers, cuvier… (7). Et de propriétaire en propriétaire le bâtiment devint… Ce que nous connaissons. Haut-Méjean ce n’est pas Versailles mais sans doute un simple château vinicole. Resterait-il une bonne bouteille à boire.
(1) – description technique de la façade par M. Barandarian, architecte d’Arlac.
(2) – souvenir d’un voisin du Château de Borie M. Bochara.
(3) – M. Cours qui habita plus tard rue Gérard Blot.
(4) – archives départementales, archives du Notaire Faugas 3E24425
(5) – Etude de M.E.Perreau : la Maison Carrée d’Arlac (bulletin de la société archéologique de Bordeaux tome LXV
(6) – archives dépôt hypothèques volume 46 n° 1
(7) – archives dépôt hypothèques volume 766 n° 47
Quel est le rapport entre les rues Henri Blot, Jules Michelet et Hugla, sinon quelles sont d’Arlac ? Très simple : elles s’appelaient » Luchey » dans leur jeunesse !