JBL n°5 – QUAND LA FONTAINE D’ARLAC ALIMENTAIT BORDEAUX EN EAU

JBL  » le p’tit curieux d’Arlac  » – Can’arlacais n°5 – mai, juin, juillet 1995

Elle n’a jamais fait couler beaucoup d’encre, sans doute parce qu’elle n’était jamais tarie, et qu’il y avait peu de monde pour utiliser son eau : M. l’Archevêque de Bordeaux et ses  » gens  » dans son beau château de Beauséjour (à l’emplacement de l’A.R.A.A.), M.Peixotto (Peychotte) qui habita peu de temps la  » Maison Carrée d’Arlac « , quand il n’était pas dans son autre château qui est devenu l’Hôtel de Ville de Talence, et quelques  familles de laboureurs.

Pourtant elle était bien connue des bordelais qui en cas de sécheresse prolongée, allaient en cortège, autorités religieuses en tête, chercher en l’église Saint-Seurin de Bordeaux une fameuse relique :  » la verge de Saint Martial « , qui n’était pas ce que vous pensez, mais le bâton qu’avait donné Saint Pierre à Martial. le premier évêque de Limoges au moment de leur séparation. En cérémonie, tous cheminaient jusqu‘à la  fontaine puis étendaient au dessus de l’eau une nappe sur laquelle était posé le bâton.

Il n’était pas rare que la pluie se mette à tomber sur le chemin de retour. Mais attention ! Ne pas tremper la  »  verge  » dans l’eau, car il y aurait sûrement eu inondation (1).

La Jurade de Bordeaux s’intéressa à la fontaine pour une autre raison. La ville ne fut suffisamment alimentée en eau potable qu’après !es grands travaux d’adduction de la deuxième partie du XIXme siècle.

L’eau est rare dans le petit Bordeaux du Moyen Age, encore plus dans la troisième ville de France au XVIIIème siècle. C’est pourquoi, dès 1624,  »  les Trente du Conseil de Bordeaux   » décidèrent de créer une fontaine place Saint Projet, où il n’existait qu’un puits presque à sec, alimenté par la fontaine Figueyreau qui existe toujours, bien transformée, rue Laroche. Mais faute d’argent, le projet ne fut pas réalisé et il fallut attendre 1668 pourqu’il soit repris sur des bases différentes, à partir de le fontaine d’Erlac (Arlac), de la Puselle (sans doute la source du Tondu) et de la source  des Carmes dans le quartier d’Artiguemale aux limites de Bordeaux, de Talence et de Pessac. En définitive l’eau vint de la seule source d’Arlac après des travaux qui durèrent jusqu’en 1715, et encore furent-ils bien mal faits.

A l’époque, la source, non publique, était située dans le bourdieu (résidence champêtre de bourgeois bordelais) de M. Fayet non loin du domaine de Beau séjour. En échange de l’utilisation de la source, M.Fayet obtint un petit branchement entre la  fontaine Saint Projet et son hôtel situé dans l’impasse Sainte Catherine. Le débit de la fontaine d’Arlac est important :  34 Pouces fontainiers – 650 m3 parjour -suffisant pour alimenter 35000 habitants… à l’époque.

Mais les travaux doivent être repris en 1727. Il semble que c’est à ce moment que les trois tuyaux passent d’un diamètre de 4 à 6 pouces (16 cm environ)  en terre, emboités et mastiqués posés sur des dalles de pierres de taille et revêtus d’une  chemise de maçonnerie de moellons avec mortier de chaux, sable et ciment : huit réservoirs équilibrent le débit dont le premier se trouve au Tondu (2).

C’est en 1738 que le sculpteur Van der Woort ? qui vient de terminer l’ornementation de la Place royale (de la Bourse) établira vasque et niche de la fontaine Saint Projet achevées par Francin. La source du Tondu de moindre débit avait d’autres attraits : l’eau avait des vertus purgatives et anti fièvreuses et à la fin du XVIIIème siècle, tous allaient boire à la  » Mayade du Tondut  » (3).

Les soi-disant malades n’étaient pas tristes puisqu’ils pouvaient se restaurer et se divertir, après avoir bu l’eau, dans les cabarets voisins. La tradition a dû rester pendant longtemps (pas celle de s’abreuver à la fontaine) puisqu’il restait entre les deux guerres des restaurants et des guinguettes :  » La Cape « ,  » Au Gagne Petit « ,  » Au Bon Gré Mal Gré « …

L’eau d’Arlac. toujours abondante, était très convoitée. Dès la construction d’un  hospice général sur les domaines de Pellegrin et de Canolle, dans les années. 1860-1870, le problème de l’eau se posa  et l’on pensa amener celle-ci de la source d’Arlac par une canalisation en fonte, avec réservoir souterrain et machine à vapeur élévatoire.

Il semble que ce ne sont que les eaux du Tondu qui furent utilisées puisque en 1922, le Conseil Municipal de Mérignac refusa que la fontaine d’Arlac alimente celle du Tondu, origine de l’eau consommée à Pellegrin (4)

Mais comment était cette fontaine dont il ne reste plus que le bâtiment sans doute bâti dans la deuxième partie du XVIIIème siècle ?

L’eau coulait dans un bassin avant de gagner le petit ruisseau des Ontines tout proche par un fossé naturel. Les enfants d’Arlac aimaient bien s’y rassembler au retour de l’école de la Glacière (avant bien sûr la construction de l’école communale Marcelin  Berthelot en 1923). Ils avaient l’habitude d’y manger le cresson qui poussait tout près. Mais gare aux grands-mères qui a coups de taloche ou de houssine les faisaient hâter vers la maison. Les gueillous fréquentaient aussi ce lieu calme où ils pouvaient se laver un peu.

Qui ne se souvient de Pauline vers les années 1950-1960 avec son chapeau et sa voiture d’enfant qui refermait toute sa fortune ? Assis sur la margelle du bassin, ah qu’il était bon de se tremper les pieds sous l’œil des blanchisseuses qui battaient le linge un peu plus loin dans le ruisseau ! Mais que reste-t’il de ces fontaines ?  Un curieux bâtiment de pierres, dont on ne comprend pas du tout l’usage, agrémenté d’un joli massif d’arbustes, le long d’une voie rapide sans nom, près d’une piste cyclable et un autre caché dans la cité d’étudiants  » Claire Fontaine  » qui détonne dans le décor de cette résidence du Tondu !  Alors, alors, des larmes pour nos fontaines et … Vive la  » Lyonnaise des Eaux  » ???…

(1)  – Sansas. L’ami des champs.Juin 1863, cité par M. Senac, conservateur des archives communales de Mérignac, dans une étude non publiée du 27 avril 1992.

(2)  – Ricaud, étude parue dans le bulletin de la Société archéologique de Bordeaux, années 1915-1917.

(3)  – Bernadau : tablettes 1er thermidor 1796 l Vll citées par Ricaud.

(4)  – Délibération du Conseil Municipal de Mérignac des 22 juillet et 19 aout 1922 

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